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La Minute Volume 2 Numéro 11

Harmonisation du droit fédéral avec le droit civil

La Chambre a aussi commenté la quatrième série de propositions faites par le ministère de la Justice fédéral pour modifier 51 lois fédérales et les adapter à divers concepts, intrinsèquement reliés à l’institution civile (p. ex. droit de la preuve, administration provisoire et biens non réclamés, institutions financières, interprétation législative, etc.). Le ministère de la Justice fédéral œuvre à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil depuis l’adoption du Code civil du Québec en 1994.

Tout en soulignant les efforts du gouvernement fédéral afin de reconnaître la spécificité notariale au Québec, la Chambre en a profité pour émettre des suggestions en vue d’améliorer ces propositions. Elle a recommandé, entre autres, d’étendre leur application à d’autres lois fédérales.

La Chambre tient à remercier Me Charlaine Bouchard, Me Marc Boudreault et Me Michel Vermette pour leur contribution durant les travaux.

Voici la lettre adressée au Ministère de la Justice du Canada contenant les commentaires généraux sur ces propositions :

Le vendredi 19 mai 2017

Monsieur Luc Gagné
Avocat général et directeur
Groupe du bijuridisme, Direction des services législatifs
Secteur du droit public et des services législatifs
Ministère de la Justice Canada

Objet : Commentaires portant sur la Quatrième série de propositions visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil de la province de Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law

Monsieur le Directeur,

La Chambre des notaires du Québec (« Chambre ») tenait, d’entrée de jeux, à vous remercier de l’avoir consultée dans le cadre de cette initiative d’harmonisation. Cette dernière vise, de toute évidence, à assurer l’application appropriée de la législation fédérale lorsqu’elle touche à des règles, institutions ou concepts de droit privé provincial, dans les environnements de droit civil et de common law.Au-delà du caractère constitutionnel, nul doute que l’assise législative sur laquelle s’appuie cette série de propositions d’harmonisation se trouve aux articles 8.1 et 8.2 de la Loi d’interprétation (L.R.C. 1985, ch. I-21).

La participation de la Chambre à la présente consultation est pertinente. D’une part parce que la Chambre est un des deux seuls ordres professionnels de juristes au Canada issus du système de droit civiliste. Le système juridique québécois est parfois illustré comme étant une île entourée d’une « mer » de common law. Il va sans dire que le notaire, sans en être l’unique habitant, est présent sur l’île depuis sa genèse et peut y être perçu à titre d’emblème civiliste. Tous reconnaissent d’ailleurs que notariat et spécificité québécoise vont de pairs :

Les notaires occupent une place privilégiée dans la mémoire collective […]. Le notariat a été implanté en Nouvelle-France tout au début de la colonie. Jusqu’à la Conquête de 1760, les notaires ont d’ailleurs été les seuls à pouvoir exercer le droit en territoire canadien, Champlain ayant demandé au roi que justice soit rendue au sein de la colonie  “sans [...] besoin de procureur n'y d’avocat” [1]. [référence omise]

Ceci dit, l’éclairage particulier proposé par la présente correspondance s’inscrit également dans le cadre de la mission de protection du public qui gouverne la Chambre ainsi que chacun des autres corps du système professionnel québécois.

Forte de cette unique expérience, la Chambre souhaite respectueusement vous soumettre certains commentaires destinés à bonifier les mesures proposées ou, à tout le moins, en approfondir la réflexion. Dans cette perspective, la Chambre propose de vous soumettre ses commentaires en deux temps. La présente correspondance fera d’abord état de commentaires d’ordre général (s’articulant autour de 6 axes) alors que des commentaires techniques seront, dans un deuxième temps, formulés en annexe [2]. À noter qu’un commentaire technique formulé en annexe trouve application à chaque fois que nécessaire dans l’ensemble du document, et ce, même s’il n’est formulé qu’une seule fois.

Commentaires généraux

Premier axe – Envergure et qualité des propositions de modifications
La Chambre tient à souligner l’envergure et la qualité des propositions de modifications soumises. Ces dernières visent en effet à modifier avantageusement 51 lois afin de les adapter à divers concepts, intrinsèquement reliés à l’institution civile (p. ex. droit de la preuve, administration provisoire et biens non réclamés, institutions financières, interprétation législative, etc.).

Deuxième axe – notaire du Québec et secret professionnel du conseiller juridique
La Chambre est très heureuse de constater les efforts du gouvernement fédéral pour reconnaître la spécificité notariale au Québec. Dans cette perspective, elle propose néanmoins certains ajustements aux mesures proposées, notamment aux articles 27 et 31(4) de la Loi sur la preuve, afin d’éviter toute forme d’ambigüité que ce soit. Ainsi en est-il ce qui concerne le statut du secret professionnel de l’avocat et du notaire, le tout s’entendant en conformité avec la récente décision de la Cour suprême du Canada [3].

Troisième axe – Choix des lois et problématique de la Loi sur le divorce
La Chambre aurait souhaité connaître les raisons qui justifient que ce soit ces 51 lois particulières qui soient sélectionnées aux termes de cette initiative d’harmonisation. Y existait-il des problématiques d’application particulières justifiant que ces lois soient modifiées prioritairement ? Qu’en est-il des autres lois fédérales ?

On pense entre autres à l’article 9 du texte français de la Loi sur le divorce (L.R.C. (1985), ch. 3 (2e suppl.)) oùle législateur fédéral a préféré utiliser uniquement l’expression « avocat », dans le cadre de la représentation d’un époux dans une action en divorce. Or, la Chambre note que cette expression ne reflète pas adéquatement l'organisation particulière de la profession juridique au Québec (avocats et notaires). Comme on le sait, les notaires du Québec peuvent également représenter des parties devant les tribunaux dans le cadre de toute procédure non contentieuse [4].

On se souviendra qu’une problématique similaire avait découlé de l’application de la Loi sur les immeubles fédéraux (L.C. 1991, ch. 50) [5] pour ensuite être dénouée par la Loi d'harmonisation n° 1 du droit fédéral avec le droit civil (L.C. 2001, ch. 4). Il semble que la solution retenue à l’époque pourrait, avec les adaptations nécessaires, pallier la situation évoquée à l’article 9 de la Loi sur le divorce [6].

Quatrième axe – Précision quant à l’état du droit au Québec
La Chambre constate que plusieurs dispositions sont modifiées afin de mentionner expressément ce qu’il en est au Québec (voir p. ex., l’article 11, modifiant l’article 96 de la Loi sur les banques (L.C. 1991, ch. 46) : […] s’agissant de lettres d’homologation ou d’administration  ou, au Québec de  lettres  de  vérification  ou d’un jugement en vérification de testament […]). Ce type de précision apporte une grande clarté au texte de loi. Il s’agit toutefois d’une pratique qui n’est pas généralisée aux termes du document de consultation, ce qui peut apporter une certaine confusion (voir p. ex., l’article 84, modifiant l’article 434 de la Loi sur les banques). La Chambre croit qu’il pourrait être utile d’harmoniser entre elles l’ensemble des dispositions visées par le document de consultation et de prévoir spécifiquement ce qu’il en est au Québec.

Cinquième axe – Bases de droit civil
La Chambre aurait souhaité voir des références plus explicites à certains concepts du Code civil du Québec (L.Q. 1991, c. 64)ou du Code de procédure civile (RLRQ, c. C-25.01). Ces deux textes de loi constituent en quelque sorte la base du droit civil. Les commentaires techniques feront état des quelques préceptes civilistes de ces textes de loi qui semblent avoir été omis des propositions de modifications.

Sixième axe – Harmonisation du genre et du nombre
La Chambre croit que les propositions de modifications mériteraient d’être harmonisées sur le plan du genre et du nombre, le tout par souci de clarté entre les textes. En effet, à plusieurs occasions, la Chambre a pu constater que la version anglaise utilisait un terme pluriel alors que son équivalent français demeurait singulier (ou vice-versa).

La Chambre a également pu remarquer, parfois, que plusieurs termes sont utilisés pour désigner un seul et même concept. À titre d’exemple, l’article 17(1), modifiant l’article 121(4) de la Loi sur les banques, utilise l’expression « mise en gage » alors qu’à d’autres dispositions on parle de « gage », « le gage », « mis en gage », « la mise en gage », etc. Aux fins de clarté et d’uniformité, la Chambre estime que le texte devrait faire référence à un seul et même concept [7].

En espérant que ces quelques commentaires seront utiles à la réflexion, nous vous prions de recevoir, Monsieur le Directeur, nos salutations les plus distinguées.

Le président,
François Bibeau, notaire

FB/RAR/



[1] Alain ROY, « Notariat et multidisciplinarité: reflet d'une crise d'identité professionnelle? », ( 2004) 106 R. du N. 1, p. 3.

[2] Afin d’en faciliter la lecture et la compréhension, les commentaires techniques ont été formulés à l’aide du logiciel de traitement de texte Word (suite Microsoft Office), sous forme de commentaires « info-bulles».

[3] Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20.

[4] Loi sur le notariat, RLRQ, c. N-3, art. 15 al. 1, 7o.

[5] Désormais  connue sous le titre Loi sur les immeubles fédéraux et les biens réels fédéraux, conformément à la Loi d'harmonisation n° 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, ch. 4, art. 10.

[6] Voir FICHE TERMINOLOGIQUE BIJURIDIQUE, « avocat ou notaire », http://www.justice.gc.ca/fra/sjc-csj/harmonization/bijurilex/terminolog/not16.html (consultée le 15 mai 2017)  « [d]ans la version française, l'expression « conseillers juridiques » est remplacée par « avocats ou notaires de la province de Québec ou des avocats des autres provinces ». Dans la version anglaise, le terme solicitors est remplacé par advocate or a notary of the Province of Quebec or a barrister or solicitor of any other province ».

[7] La « mise en gage » constitue le processus alors que le « gage » est le résultat de ce processus (la garantie). Voir 2665 C.c.Q.

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