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Droit

La Minute Volume 4 Numéro 2

L'Ordre peut-il vous imposer une sanction disciplinaire si vous êtes reconnu coupable d'une infraction criminelle ?

Par Caroline Thibault Gervais, avocate

 

Le législateur a prévu divers outils pour aider les ordres professionnels à remplir leur principale mission qu’est la protection du public, notamment l’article 149.1 du Code des professions1 (ci-après le « Code »). Cet article prévoit qu’un syndic d’un ordre peut saisir un conseil de discipline par voie de plainte disciplinaire « de toute décision d’un tribunal canadien déclarant un professionnel coupable d’une infraction criminelle ».

Pour saisir ainsi le conseil de discipline, le syndic doit être convaincu de l’existence d’un lien entre l’infraction criminelle dont un ses membres a été accusé et l’exercice de la profession.

Si tel est le cas, la copie de la décision judiciaire déclarant le professionnel visé coupable d’une infraction criminelle fait preuve de son contenu devant le conseil de discipline.

Toutefois, le conseil de discipline doit également être convaincu qu’il existe un lien entre l’exercice de la profession et l’infraction criminelle dont professionnel a été reconnu coupable2; c’est seulement si un tel lien existe de l’avis du conseil qu’une sanction disciplinaire sera imposée.

L’application de l’article 149.1 du Code requiert que le syndic ainsi que le conseil de discipline suivent une démarche précise afin d’établir l’existence ou non d’un lien entre l’infraction criminelle commise par un de ses membres et l’exercice de sa profession.

Dans l’affaire Avocats (Ordre professionnel des) c. Thivierge3, le Tribunal des professions a rappelé la teneur de cette démarche, laquelle se déroule en deux étapes se résumant comme suit :

1ère étape : Le conseil de discipline doit « examiner la nature des infractions dont le professionnel a été reconnu coupable, leur gravité de même que les circonstances entourant leur commission, et ce, en relation avec les qualités essentielles à l’exercice de cette profession »4.

C’est face au tableau complet de la situation qu’un conseil de discipline doit se prononcer sur l’existence ou non d’un lien entre l’infraction criminelle et l’exercice de la profession, « vu dans l’optique des qualités fondamentales requises pour l’exercer »5.

Si le conseil de discipline conclut à l’absence de lien, l’exercice s’arrête ici et aucune sanction disciplinaire ne sera imposée au professionnel visé par la plainte déposée en vertu de l’article 149.1 du Code. Dans le cas contraire, on passe à la seconde étape.

2e étape : Si le conseil de discipline conclut à l’existence d’un lien entre l’infraction criminelle et l’exercice de la profession visée, il doit ensuite « prendre en compte la pratique spécialisée du professionnel visé afin de décider s’il est opportun d’imposer des sanctions et, le cas échéant, lesquelles »6.

À la Chambre des notaires, il a été décidé qu’il existait un lien entre l’exercice de la profession et le fait pour un notaire d’avoir, par la supercherie, le mensonge ou autre moyen dolosif, frustré diverses organisations et/ou personnes de sommes d’argent d’une valeur dépassant 5 000 $7.

Voici quelques exemples tirés d’autres ordres professionnels, où il a été décidé qu’il y avait présence d’un lien entre l’exercice d’une profession et la commission d’une infraction criminelle : 

  • Vol de comprimés de morphine et l’exercice de la profession d’infirmière8;
  • Avoir eu en sa possession une arme à autorisation restreinte sans permis et l’exercice de la profession d’avocat9 ;
  • Avoir proféré des menaces de mort aux employés d’un laboratoire et l’exercice de la profession de technologiste médical10 ;
  • Avoir versé une contribution de 1 000$ à un parti politique autrement qu’à même ses propres biens, contrairement à l’article 90 de la Loi électorale, et l’exercice de la profession de comptable11 ;
  • Avoir conduit avec capacités affaiblies par l’alcool et l’exercice de la profession de médecin12 ;
  • Avoir leurré un mineur de 14 ans, en vue de commettre une infraction à caractère sexuel, et l’exercice de la profession de psychologues13;
  • Avoir commis des voies de fait graves, avoir été en possession de cocaïne et avoir omis de se conformer à une condition d’une promesse ou d’un engagement, et l’exercice de la profession de comptable14 ;
  • Avoir commis une infraction de délit de fuite mortel et l’exercice de la profession d’infirmière15 ;
  • Avoir commis un vol dont la valeur dépasse 5 000$, et l’exercice de la profession d’infirmière16 ;

Et des exemples où il a été décidé que l’infraction criminelle en cause n’avait pas de lien avec l’exercice de la profession : 

  • Avoir, à des fins sexuelles, exhibé ses organes génitaux devant deux personnes de moins de 16 ans et avoir touché une partie du corps d’un enfant de moins de 16 ans, et l’exercice de la profession de courtier immobilier17;
  • Avoir omis de se conformer à une condition d’une promesse remise à un agent de la paix (s’abstenir de consommer de l’alcool) et avoir conduit un véhicule en état d’ébriété, et l’exercice de la profession d’infirmière18.

Pour conclure et de façon générale, il faut se rappeler que pour établir un lien entre l’exercice d’une profession et la commission d’une infraction criminelle, les valeurs intrinsèques liées à la profession ainsi que la pratique individuelle du professionnel en cause seront analysées.  Chaque cas demeure un cas d’espèce.

 


1 RLRQ, c. C-26.

2  Dans une récente décision (2018 QCTP 60), le Tribunal des professions rappelle que face à une telle plainte, le rôle du conseil de discipline se limite à déterminer s’il existe un lien entre les infractions criminelles en cause et l’exercice de comptable professionnel agréé. (par. 9).

3 2018 QCTP 23, révision judiciaire pendante 500-17-102847-186.

Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, préc., note 2, par. 29.

Id., par. 38.

Avocats (Ordre professionnel des) c. Thivierge, préc., note 3, par. 80.

Chambre des notaires du Québec c. St-Pierre, 2014 CanLII 49146 (QC CDNQ) ; Notaires (Ordre professionnel des) c. Rivard, 2011 CanLII 97717 (QC CDNQ).

Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Descôteaux, 2018 CanLII 62666 (QC OIIA).

Barreau du Québec (syndique adjointe) c. Cavaliere, 2017 QCCDBQ 119 (CanLII).

10 Technologistes médicaux (Ordre professionnel des) c. Cimon, 2018 CanLII 12494 (QC OTMQ).

11 Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Caruana, 2018 CanLII 8970 (QC CPA).

12 Médecins (Ordre professionnel des) c. Dostie, 2017 CanLII 66034 (QC CDCM).

13 Psychologues (Ordre professionnel des) c. Pelletier, 2017 CanLII 80394 (QC OPQ).

14 Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, préc., note 4.

15 Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Tremblay, 2017 CanLII 5750 (QC OIIA).

16 Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Nivyabandi, 2017 CanLII 1290 (QC OIIA).

17 Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec c. Leclerc, 2016 CanLII 78372 (QC OACIQ).

18 Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Côté, 2015 CanLII 75237 (QC CDOII).

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